En partant de Kinshasa, elles voulaient atteindre l’Europe. Mais les passeurs les ont conduites au…Koweït. Quatre congolaises victimes du trafic d’êtres humains ont livré leur témoignage les 7 et 8 août à Kinshasa pour sensibiliser les jeunes contre l’immigration clandestine.
Etudiants, travailleurs, jeunes de l’association pour le soutien à Fatshi [surnom du président de la RDC, Félix Antoine Tshisekedi] avaient pris d’assaut la salle de spectacle Showbuzz pour ce forum organisé par l’Association sans but lucratif La jeunesse éclairée. Les orateurs eux se recrutaient parmi les autorités congolaises, actuelles ou passées qui ont vécu, fait leurs études et travaillé en occident avant de rentrer travailler au pays.
Avant les discours, l’assistance a pu visionner un documentaire sur l’immigration clandestine. Des images frappantes et émouvantes illustrant les souffrances qu’endurent les clandestins et les dangers auxquels ils s’exposent à la recherche de l’eldorado européen.
« J’ai étudié en Europe, j’ai travaillé là-bas comme professeur, mais un jour avec certains des mes amis parmi lesquels Thomas Luhaka [jusque récemment ministre des Infrastructures], nous avons décidé de revenir au pays. Et je vous assure, la plupart aujourd'hui nous avons réussi dans la vie si je peux me permettre de le dire. Le bien-être n’est pas seulement en Europe ou en dehors du pays. Il y a d’énormes richesses dans notre pays que l’on peut exploiter et réussir dans la vie sans se rendre en dehors du pays », a raconté Toussaint Tshilombo Send, professeur d'université, ministre de la Communication entre 2007 et 2008 et parrain de l'évènement.
Le témoignage des quatre
Les quatre jeunes filles vendues comme esclaves au Koweït ont pris à leur tour la parole pour décrire le traumatisme qu’elles ont vécu. Un de leurs contacts qui se trouvait dans ce pays, une jeune congolaise, proche de l’une des quatre, leur avait fait miroiter un travail bien rémunéré. Avant qu’elles ne se rendent compte du traquenard dans lequel elles étaient tombées.
Afin de conserver leur anonymat, les quatre ex-esclaves ont utilisé des pseudos qui résument leur histoire : contact, aéroport, parcours et retour. Elles ont témoigné à visage découvert mais aucun appareil photo ni caméra n’était autorisé en ce moment-là dans la salle.
« Personnellement, j’ai été intéressée par une amie qui m’a dit qu’elle vit à Koweït. J’ignorais d’ailleurs dans quel continent se trouve Koweït. Quand elle m’a contactée, je n’ai même pas cherché à m’informer sur ce pays. Je n’étais possédée que par l’envie de quitter la RDC pour aller en Europe. Les contacts entre elle et moi se maintenaient à travers quelques membres de sa famille : sa mère et ses frères. Mon amie m’avait promis qu’au Koweït, j’allais travailler dans une école américaine en phase d’implantation. Je n’ai pas hésité. J’ai dépensé plus de 700 dollars américains pour les démarches de visa ainsi que le billet », affirme Contact avant d’être relayée par sa compagne d’infortune, Aéroport :
« Nous sommes parties par le Congo-Brazzaville, nous avons d’abord traversé le fleuve par canot rapide, ensuite nous avons pris notre premier vol pour l’Ethiopie. A partir de l’Ethiopie, nous avons pris un vol pour Koweït. Déjà, dans l’avion je me posais des questions sur le pays où nous allions et je m’inquiétais beaucoup parce que les passeurs avec qui nous étions dans l’avion ne nous donnaient pas l’impression de nous amener en Europe. C’était des gens bizarres.
Lorsque nous sommes arrivées à Koweït, à l’aéroport, nous étions mis à l’écart. Nous avons réussi à joindre au téléphone l’amie qui nous avez invité là-bas, elle nous a fait patienter indiquant simplement que des gens allaient venir nous chercher. Nous avons fait là plus de 5 heures. Finalement, on est venu nous prendre et on nous a amené dans un appartement. Déjà, les messieurs qui sont venus nous chercher nous avaient dit que nous étions venues pour travailler chez leurs clients. Ils se montrés menaçants dès le début nous obligeant à être souriantes pour attirer les
clients. Lorsqu'on ne ne souriait pas, ils nous frappaient. Le jour suivant, nous étions acheminées dans leurs maisons de vente des esclaves et ils nous ont mis en vente ».
C’est alors que le vrai calvaire de ces jeunes filles a commencé.
Parcours, troisième membre du groupe, raconte cette étape en partant de sa propre expérience :
« Lorsque nous avons été mises en vente, moi on est venu m’acheter par une dame et elle m’a amené travailler dans sa maison comme esclave. C’était un travail très dur. Elle m’avait d’abord amenée à l’hôpital où j’ai reçu des injections d’un produit que j’ignore. On m’a simplement dit que c’était pour pour me rendre forte. Malgré cette injection, je n’arrivais toujours pas à achever tous les travaux du ménage tellement c’était dur. Je travaillais dans une maison de sept enfants et je faisais tous les travaux. Je commençais le travail à 6 heures pour terminer à 4 heures du matin du lendemain. Je ne dormais
en moyenne que deux heures du temps chaque jour ».
Retour est revenue pour sa part sur la dernière étape de cette sombre histoire, celle qui a permis aux quatre jeunes filles de rentrer dans leur pays.
« Moi aussi, j’ai été vendue à plusieurs reprises, mais partout où j’allais, je refusais catégoriquement de travailler. La vie était tellement dure là-bas que nous avons décidé de rentrer chez nous. Au Koweït, nous n’avons jamais vu l’amie congolaise qui avait tout organisé pour qu’on s’y rende. C’est qu’on ignorait et qu’on a appris plus tard est qu’elle percevait de l’argent chaque fois que nous étions vendues auprès d’un propriétaire. Et ces gens-là nous
obligeaient de remettre leur argent pour qu’ils nous libèrent. Nous avons heureusement pu atteindre notre ministre chargé des congolais de l’étranger à travers ambassade de la RDC en d'Arabie Saoudite. c'est l'ambassadeur qui nous a donné les contact du ministre Emmanuel Ilunga. nous l'avons appelé et il a fait tout pour que nous puissions revenir au pays ».
La traite d'êtres humains, un trafic à combattre
Sans qu’elles ne s’en rendent compte, les quatre Congolaises ont été victimes du trafic d’êtres humains dès le début de leur aventure. Selon l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), le trafic d'êtres humains est défini comme "l'acquisition, la vente et l'exploitation des adultes et des enfants à des fins diverses notamment le travail forcé et l’exploitation sexuelle"
“La traite d’êtres humains est un crime odieux qui n’épargne aucune région du monde. Nous réaffirmons notre détermination à empêcher les criminels d’exploiter impitoyablement des êtres humains pour de l’argent et à aider les victimes à reconstruire leur vie”, a déclaré António Guterres, secrétaire général de l'ONU le 30 juillet 2019 à l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre la traite des êtres humains.
En septembre 2015, les pays du monde entier ont adopté le Programme de développement durable à l'horizon 2030 qui vise notamment à supprimer le travail forcé et à mettre fin à l'esclavage moderne et au trafic d'êtres humains. Un an plus tard, lors du Sommet des Nations Unies pour les réfugiés et les migrants en septembre 2016, les États Membres
sont parvenus à un consensus pour aboutir à un document fort : la Déclaration de New York Document (PDF). Parmi les 19 engagements adoptés, trois concernent l'action concrète à l'encontre de la traite d'êtres humains et du trafic de migrants.
Bien que de nombreux pays aient mis en place des lois nationales sur la traite qui soient conformes au Protocole des Nations Unies contre la traite des personnes, ce phénomène continue de faire de nombreuses victimes. Il est essentiellement nourri par la mauvaise gouvernance des pays du Sud et le chômage qui poussent de nombreux jeunes à immigrer coûte que coûte. Et parfois, au péril de leurs vies.