Le film documentaire de 52 minutes a été diffusé mercredi 13 novembre comme prévu à La Halle de la Gombe à Kinshasa. Tourné en lingala et en français, "L'ombre des oubliés" raconte les moments durs vécus par les soldats congolais pendant la seconde guerre mondiale aux côtés des colons blancs. Entre incompréhensions, discrimination et mépris sur les champs de bataille, les soldats congolais ont montré leur force aux armées ennemies puis ont mérité le respect.
L'espace choisi était rempli du monde et les deux acteurs du film présents lors de la projection ont reçu des ovations sans cesse du public.
Arrivés aux alentours de 19h20', les deux derniers soldats survivants de la seconde guerre mondiale, Daniel Miuki (94 ans) et Albert Kunyuku (97 ans) avaient arboré leurs anciennes tenues militaires. Les deux acteurs relèvent les difficultés auxquelles ils ont fait face, eux qui ont été déportés jusqu’au Singapour pour combattre pour le compte de la Belgique. Moins formés que les soldats blancs, ces hommes ont triomphé à plusieurs endroits comme en Birmanie, Saio, Gambela ou encore Assossa au grand étonnement des colons. Si leurs compagnons d’armes africains colonisés par la France ont été honorés, Daniel et Albert n'ont jamais rien reçu de la Belgique. Aucune reconnaissance. Beaucoup de leurs camarades sont morts sur les champs de bataille sans bénéficier d’une indemnisation ni leurs proches. Sur les 25.000 soldats congolais partis en guerre, ils ne sont plus que deux. Ils ont combattu quatre ans dans des milieux hostiles et inconnus.
Ces deux anciens combattants vivent dans "l'ombre" à Kinshasa livrés à eux-mêmes. La vieillesse a eu raison de ces deux personnes qui ont émerveillé un public venu enrichir leurs connaissances en histoire. Henri-José Bondoka est écrivain. Pour lui, ce film apporte un éclairage nouveau sur la contribution des africains dans la victoire des alliés en seconde guerre mondiale. "Je suis très émotionné par ce que je viens de vivre, tout ce qu'on m'a raconté je viens de le suivre avec précision par un témoin vivant. Avoir combattu plus de quatre ans sans être honoré c'est choquant mais ces hommes méritent mieux. C'est aujourd'hui que je réalise qu'il y a eu la seconde guerre mondiale", affirme Henri-José Bondoka.
Fabien La Blasse est Français. Il sait que son pays a maltraité les soldats africains pendant cette guerre mais rien de plus précis n'a jamais été dit. "Ces témoignages de Daniel et Albert nous donnent l'idée sur ce qu'auraient vécu le reste des soldats noirs qui ont combattu pour la France pour la libération de la France. Une discussion avait été engagée dans le pays pour leur verser une pension mais cela a pris du temps. La guerre mondiale est loin derrière nous mais il ne faut pas oublier ces deux messieurs qui constituent une bibliothèque vivante pour la RDC. Même si en France aussi on a tendance à oublier nos anciens combattants de la guerre mondiale", explique M. La Blasse.
Les moins âgés également ont pris part à cette projection. Cette histoire vient conforter celle de Martha 12 ans, elle qui n'a entendu parler de la seconde guerre mondiale que de la part de son professeur et à la télé. La jeune fille pensait que seuls les occidentaux avaient pris part à cette guerre. Dans l'histoire racontée, personne n'avait jamais fait mention de la présence des soldats congolais à cette guerre. Les témoignages des "Pépé" lui ont beaucoup apporté. "L'ombre des oubliés" a par ailleurs suscité en Gueben, 11 ans, l'envie d'intégrer l'armée: "Je veux servir mon pays loyalement et finir comme les deux messieurs", révèle le jeune garçon.
Les honneurs rendus aux anciens combattants
La France continue d'honorer les anciens combattants étrangers en les décorant pour leurs combats menés sur le sol français. Les derniers sont les six américains ayant débarqué en Normandie selon le site french morning. Depuis Houston, où les médailles leur ont été rendues, les six anciens soldats sont entrés dans la légion d'honneur. Alexis Andres consul général de la France à Houston déclarait à cet effet qu'il était difficile de retrouver ces hommes. Il faut les honorer immédiatement après les avoir retrouvés.
La France a décoré les soldats africains ayant combattu pour son compte à la seconde guerre mondiale comme affirment les sites lemonde.fr et dj.ambafrance.org. Il s'agit pour la plupart des soldats de l'Afrique du Nord et du Sénégal. Plusieurs pays continuent d'honorer tous ces anciens combattants comme la Grande-Bretagne.
D'après Anicet Mobe Fansiama chercheur en sciences sociales, le Congo a porté le poids de la Belgique pendant cette seconde guerre: "D'une manière générale, le poids de la Belgique dans la guerre a été largement le poids du Congo", paraphrasant l'historien Jean Strengers.
Pourtant, le rôle stratégique de ce pays d'Afrique centrale durant la seconde guerre mondiale demeure largement occulté. Ce silence paraît d'autant plus injustifié que les conditions d'engagement du Congo aux côtés des alliés vont durablement influencer son histoire après 1945.
Toujours d'après le chercheur, l'implication de la colonie dans le conflit est multiple. Malgré les réticences du roi Léopold III, attaché au principe de neutralité, plusieurs accords commerciaux et financiers sont conclus avec le Royaume-Uni entre le 21 janvier 1941 et octobre 1944 (3). L'accord britanno-belge du 21 janvier 1941 consacre même l'inclusion du Congo et du Ruanda-Urundi dans la zone sterling. « Avec celui du 5 octobre 1944, estime Strengers, on peut affirmer que le franc belge s'est aligné sur le franc congolais (4). » Sur le terrain, les troupes congolaises se battent en Abyssinie (Ethiopie), où elles remportent de nombreuses victoires sur les Italiens : Assossa (11 mars 1941), Gambela (23 mars 1941), Saïo (3 juillet 1941). Elles font quinze mille prisonniers, dont neuf généraux. Après la capitulation italienne, la Force publique – nom donné à l'armée du Congo – mobilise treize mille soldats et civils afin de combattre en Afrique de l'Ouest contre certaines colonies françaises demeurées fidèles à Vichy.
Une partie du corps expéditionnaire déployé en Afrique de l'Ouest est convoyée au Proche-Orient ; les premiers contingents arrivent, le 18 avril 1943, à Suez ; une brigade est déployée en Palestine. Une antenne médicale, composée de trois cent cinquante soldats congolais encadrés par vingt officiers européens, se distingue en Abyssinie et en Somalie (1941), à Madagascar (1942), aux Indes et en Birmanie (1943-1945). Ce qui corrobore parfaitement avec les témoignages de ces deux soldats congolais Albert Kunyuku et Daniel Miuki encore vivants à Kinshasa. Tous ces vaillants combattants restent méconnus dans l'ordre de mérite de guerre belge.
Après la projection du film, les deux anciens combattants congolais de la seconde guerre mondiale sont repartis chez eux en héros. Tout le monde cherchant à prendre un souvenir aux côtés de ces deux rares personnes. Albert et Daniel ont été émus et sans mots devant ce public nombreux venu les écouter et leur témoigner de l'amour. Le film de José-Adolphe Voto a révélé une partie cachée de l'histoire du Congo inexistante dans les manuels scolaires congolais.
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