On les trouve dans les marchés municipaux, au grand marché de Kinshasa et dans certaines galeries commerciales de Kinshasa. Ils sont intermédiaires commerciaux et se nomment "Bana Kwata". Le Mag les a suivis pour comprendre cette activité lucrative qui sort du commun.
Ils ne tiennent pas des commerces mais proposent leurs services aux acheteurs qui peuvent marcher des heures sans trouver le bon magasin, le bon pavillon au marché central pour l’article qu’ils cherchent. Les Bana Kwata collent à la peau de leurs « proies » comme des vraies sangsues. Têtes de mule à souhait, ils ne reculent devant rien. Et se fichent royalement de l’agacement de leurs cibles.
Davido est un « Muana Kwata » (le singulier de Bana Kwata). Il est heureux de nous inviter à le suivre.
Il est 11 heures ce jeudi lorsqu’on se met à sa « poursuite », tellement il marche vite. Parfois presque en courant. A trois jours de la rentrée scolaire, le flux d’acheteurs au grand marché et au centre-ville de Kinshasa s’accroît, rendant l’activité des Bana Kwata plus viable.
Davido nous donne rendez-vous sur le boulevard du 30 juin. Du Boulevard du 30 Juin près de la Banque BCDC où il se trouvait, il repère 3 « sœurs » qui entraient et ressortaient des magasins des téléphones. Toute personne qui donne l’impression de faire du lèche-vitrine est une cible potentielle de Davido. Et les « sœurs » comme il les appelle en font donc naturellement partie. "Bonjour les demoiselles, puis-je savoir ce que vous cherchez", s'exprime-t-il poliment, interrompant de fait leur conversation. Les trois femmes ayant déjà rejeté les propositions de ses deux collègues, font semblant de ne rien entendre et continuent leur conversation.
Davido répète trois fois ses salutations. Emportées par le vent. Les trois demoiselles se réorientent vers l'immeuble Botour, 500 m plus loin. Davido continue de les suivre. Sa présence auprès d'elles marque son territoire. A priori, d’autres Bana Kwata sont supposés ne pas cibler les mêmes personnes. Après avoir parcouru cinq magasins de vente de téléphones, les filles n'auront rien trouvé à leur goût. C’est alors que l’une d’entre elles décide de faire cas de la présence de Davido. A son grand soulagement. "Où peut-on trouver de très bons téléphones à bas prix?", lui demande alors celle qui paraît être l'aînée du groupe.
Davido entre en scène et les conduit chez Rachid, un Libanais qui tient un magasin de vente des téléphones sur l'avenue Colonel Ebeya non loin de l'immeuble Botour. De là, les trois sœurs - parce qu’elles vont effectivement affirmer qu’elles sont sœurs - sortiront sourire aux lèvres avec un téléphone en mains négocié à 160$. Ravies par le produit, elles proposent un autre marché à Davido.
Pour l'anniversaire de leur père, les filles ont choisi de mettre des tenues bleues pour la soirée le samedi 31 août. Les couleurs des vêtements qu'elles ont vues dans le coin ne les ont pas satisfaites. Elles demandent à Davido de les emmener trouver des pantalons de couleur bleu-foncé. L'homme connaissant le milieu sait que ces couleurs sont difficiles à trouver mais il a des pistes. Comme souvent. Et il ne dit jamais non, quitte à proposer à sa cible un produit de substitution et la convaincre avec force arguments de l’acheter.
"Les grandes sœurs, je sais où trouver la marchandise, mais seulement je me demande si vous saurez y arriver. Il faut pénétrer le centre du marché", explique-t-il. Pendant que les trois jeunes se concertaient, Davido n'hésite pas à flatter ses clients :"Pour être belle il faut souffrir", leur dit-il dans un sourire. Finalement, les filles acceptent de les suivre. Dans ce labyrinthe que présente le marché de Kinshasa, Davido maîtrise tous les couloirs. Difficile de le suivre dans son rythme au milieu de cette foule immense. Il est obligé de s'arrêter pour les attendre à chaque fois. Après une bonne vingtaine de minutes de marche, les voilà arriver sur l'avenue Kato chez Ibrahim, un ouest-africain à la fois grossiste et détaillant des vêtements.
Les filles font leur commande et les pièces tant désirées arrivent au bout de cinq minutes. Séduites par la qualité du tissu, elles débourseront 45$ pour trois pièces. La rétribution de Davido : 10$. Autant dire, une affaire en or. Bien peu sont ceux qui déboursent autant pour les Bana Kwata qui parfois se contentent de joueur aux porteurs, lorsqu’ils arrivent à obtenir que leur cible achète un bien. Comme porteurs, ils ne gagnent qu’entre 1 et 2$. Rarement plus.
Heureuses d’avoir fait les bonnes affaires, les trois sœurs promettent de garder contact avec Davido qui leur a passé son numéro de téléphone. Lisa, l’aînée des filles, a bravé l'interdiction de ses parents en faisant appel aux services de Davido.
"Nos parents nous avaient dit de marcher seules parce qu'il y a beaucoup de voleurs au marché. Ils pensent que les "bana Kwata" sont des pickpockets. Mais là, Davido nous a montré une autre face. Il nous a directement conduites là où il y avait ce qu’on cherchait. J'avoue qu'ils sont parfois agaçants quand ils vous suivent de force mais ils sont aussi importants", explique-t-elle essoufflée par la marche.
Davido lui, est habitué, à faire des navettes dans le grand marché. Au quotidien, il inspecte boutiques, surtout celles qui ne sont pas directement accessibles pour détecter les bonnes offres. En une journée, il peut avoir 5 à 10 clients qu’il doit conduire dans des magasins. La plupart de Bana Kwata font fonction de commissionnaires pour les tenanciers des boutiques. Ces derniers leur reversent dans ce cas un pourcentage sur chaque produit acheté par le client qu’ils leur ramènent.
« C’est là qu’on se retrouve vraiment », affirme Davido, heureux de sa grosse prise du jour.