Depuis la fermeture des écoles sur toute l'étendue du pays le 18 décembre 2020 pour contrer la propagation du Covid-19, beaucoup d 'élèves et enseignants sont livrés à eux-mêmes. Déjà obligés de déserter pendant quatre mois les salles de classe à partir d'avril 2020 lors de la première vague du Covid-19, les élèves semblent ne pas pouvoir voir le bout de tunnel de si tôt avec cette deuxième suspension des cours.
La deuxième vague du Covid-19 n'a pas encore atteint le pic de contaminations notamment à Kinshasa, épicentre de l'épidémie en RDC. Dans la capitale de la RDC, plusieurs élèves ont perdu l'envie d'étudier. Certains passent leur temps dans les salles de jeux vidéo. D'autres exercent leur talent en jouant au football. Certains s'affalent des heures durant dans les fauteuils les yeux braqués sur les postes téléviseurs tandisqu'une minorité aide les parents à faire le ménage.
D'après l'enquête à indicateurs multiples de l'UNICEF (MICS 2018), près de 78% d'enfants et d'adolescents en âge scolaire fréquentent l'école mais seulement 67% achèvent ces études. Des chiffres qui pourraient baisser avec cette scolarité en dents de scie imposée par la pandémie de Covid-19.
Peu de parents s'organisent pour que leurs enfants ne soient pas très en retard à la reprise. Moise Diyo habite la commune de Masina, l'une des plus peuplées de la capitale de la RDC. Comme tous les élèves de cette mégalopole de 12 millions d'habitants, ses neveux n'ont plus remis les pieds à l'école depuis le 18 décembre dernier.
«J'ai trois neveux qui étudient. Deux d'entre eux prennent quand-même le temps quelques fois de revoir leurs notes, mais pas l'autre. Il prend tout son temps pour jouer et se distraire. C'est ce que fait la majeure partie des élèves ici. Pour ce qui est de l'enseignement à distance, ici c'est vraiment difficile car nous n'avons pas d'électricité en permanence », affirme-t-il.
Le ministre de l'Enseignement primaire, secondaire et technique a lancé en mai 2020 une chaîne consacrée à l'enseignement à distance. Mais comme dans le cas de Moïse Diyo, peu de familles sont en mesure d'imposer aux enfants de suivre ces programmes d'enseignement télévisuels faute d'électricité. La RDC figure parmi les pays ayant le plus faible taux d'électrification en Afrique. Moins de 10% de la population congolaise dispose d'un accès à l'électricité, dont 35% dans les zones urbaines (50% à Kinshasa) et moins de 1% dans les zones rurales. Et même à Kinshasa où la moitié de la population a accès à l'électricité, de nombreux quartiers passent des semaines, voire des mois sans recevoir le moindre kilowatt de la SNEL, la société étatique censée fournir de l'électricité. Dans les quartiers où la desserte en électricité semble être régulière, le délestage de courant électrique pour préserver le matériel vétuste de la SNEL est devenu une réalité quasi quotidienne.

Alternative
Dans ces conditions, certains parents ont une alternative. Ils s'organisent avec des enseignants pour ne pas faire perdre trop de temps à leurs enfants.
«Moi, j'ai deux amis enseignants dans des écoles privées qui partent donner des cours de rattrapage à domicile. Et cette activité n'a lieu que chez les élèves dont les parents ont les moyens pour payer les enseignants », déclare Moïse Diyo. Un luxe que peu de parents peuvent oser offrir à leurs enfants dans une ville où les revenus d'environ 95% des ménages sont issus du secteur informel de l'économie. Et où les quelques employés de l'administration publique ont un salaire moyen ne dépassant guère l'équivalent de 100 dollars américains.
Les enfants ainsi livrés à eux-mêmes s'occupent comme ils peuvent.
«Lorsque je me réveille, je brosse les dents, je me douche, je prends mon petit déjeuner et je pars jouer. S'il y a de l'électricité, j'en profite pour regarder les dessins animés. Je ne suis pas le programme des enseignements télévisés parce qu'il y a beaucoup de coupures d'électricité. Et parfois quand je branche VodaEduc TV, je trouve un cours qui n'est pas de mon niveau », explique Bonheur Zia Kama, 10ans, élève de 5e primaire au Collège LLK de la commune de Kinshasa.
«Nous voulons rentrer à l'école, rester à la maison n'est pas intéressant. Maman prend le temps de me faire répéter certaines matières mais ce n'est pas suffisant. Nous devons rentrer à l'école », plaide-t-il.

A l'école conventionnée catholique Collège Saint-Pierre de la même commune, les chefs d'établissement se rassemblent pour trouver une solution afin d'occuper les enfants. «Nous sommes venus aujourd'hui spécialement pour projeter comment nous allons faire venir demain les enseignants du degré terminal, parler de la manière dont nous allons encadrer les enfants, ensuite nous appellerons les parents pour leur dire comment allons-nous procéder», affirme un enseignant rencontré dans la cour de cette école lundi 1er février 2021. Il explique que dans une précédente réunion convoquée par le curé, la décision avait été prise de privilégier d'abord les élèves du degré terminal, car ils doivent préparer le Tenafep, le test national de fin d'études primaires.
Certains enseignants du secteur public profitent de ce temps d'arrêt pour trouver des activités qui génèrent des revenus afin d'arrondir leurs fins de mois. «J'ai rencontré dernièrement une enseignante en train de vendre la braise pour s'occuper, car nous sommes de l'école publique et nous percevons régulièrement notre salaire », raconte le directeur du Collège Saint-Pierre EP 2 de Kinshasa.
Tout reprendre à zéro
Selon le psychopédagogue de l'école Saint Pierre EP 5, cette suspension des cours pour une durée indéterminée préjudicie davantage les élèves des classes inférieures: «L'enfant qui n'est pas équipé et occupé à la maison, perd le fil des enseignements. Quand ils vont rentrer, ils doivent tout reprendre à zéro, parce qu'ils n'ont pas d'encadrement qu'il faut à la maison. Pour ceux qui sont tout de même encadrés, les parents ne savent pas que l'encadrement des enfants se fait par degré. Raison pour laquelle certains enfants ont des difficultés pour comprendre les enseignements de leurs parents ».

En attendant la reprise officielle et pour ne pas perdre trop de temps, certaines écoles organisent dans le respect des gestes-barrières contre le Covid-19, des cours de préparation à l'examen d'État pour les finalistes du secondaire, en violation de la mesure des autorités qui interdit l'organisation de toute activité scolaire. «Je vais tous les jours à l'école en tenue de la maison, nous avons cours avec les professeurs comme d'habitude avec un horaire bien établi, en vue de rattraper, le temps que nous avons perdu», témoigne une jeune finaliste de 17ans qui fréquente une école de la Gombe.
Ces dernières semaines, l'UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, a plaidé auprès des autorités congolaises pour une reprise partielle des cours dans les provinces pas ou peu affectées par le Covid-19. Mais certains experts du secteur de l'éducation appellent à ne pas se précipiter, arguant que les politiques d'enseignement étant nationales, il faudra nécessairement trouver des solutions nationales à cette crise scolaire consécutive à la crise sanitaire.
Willy Bakonga, le ministre de l'Enseignement primaire, secondaire et technique ne cesse de le répéter: «La reprise des cours dépendra de l'évolution des chiffres du Covid-19».