La décision est inédite au Congo Démocratique au point de susciter tout à la fois espoir et inquiétude. Depuis le 2 septembre de cette année, les parents peuvent envoyer leurs enfants étudier dans les écoles publiques de la première à la huitième année sans débourser un seul sou. La célèbre gratuité de l’enseignement de base fait pourtant jaser. Le Mag a fait le tour de quelques écoles pour voir ce qu’il en est de l’application de cette mesure.
D’abord les frais supprimés : il s’agit de la contribution que les parents versaient aux écoles. Pudiquement nommée par les écoles, « frais de motivation » ou de « transport », les sommes versées par les parents aidaient en réalité à grossir tant que faire se peut la modique rémunération des enseignants. Mais pas que. L’argent des parents servait aussi à compléter les frais de fonctionnement, cette ligne budgétaire allouée par le gouvernement assurait la logistique des écoles : matériel didactique pour enseignants et élèves, renouvellement de la peinture, craies, ampoules, vitres…
Pour boucler leurs budgets, les écoles avaient, au fil des ans, créé des nouveaux postes de dépenses pour les parents. Ces derniers étaient sommés d’acheter uniformes, écussons, tenues de gymnastique, cahiers de liaison souvent hors de prix pour des parents eux-mêmes fonctionnaires de l’Etat sous-payés lorsqu’ils ne sont pas dans l’économie informelle.
Avec la décision prise par les autorités – en réalité pour respecter une disposition de la constitution prévue de longue date – beaucoup de parents ont poussé un ouf de soulagement. Mais certains d’entre eux s’inquiètent déjà. Parce que depuis le 2 septembre dans certaines écoles, les enseignements ne se donnent pas. Responsables d’écoles et enseignants gardent le silence sur cette situation. Et les élèves ont même reçu l’instruction de la boucler. Ce qu’ils ne font pas. Bien sûr.
Quand l’omerta frappe les autorités des écoles
Dans une école réputée dans la commune huppée de la Gombe, la présence des journalistes est mal perçue. Les autorités de l’établissement ne veulent accorder aucune interview et il est strictement interdit de parler aux élèves dans l’enceinte de l’école. Ce vendredi 6 septembre en milieu de matinée, sur l’ensemble des salles de classe situées sur notre champ de vision, on peut voir des professeurs qui dispensent les enseignements et dans d’autres non. Pour s’assurer que les journalistes ne vont poser aucune question à qui que ce soit, ceux qui arrivent-là ont droit à un ange-gardien, un agent de sécurité chargé de les escorter jusque devant le portail après avoir été éconduits par les responsables d’école.
Même sous le sceau de l’anonymat, aucune autorité ne veut parler. Certains élèves, dès qu’ils franchissent la porte de sortie de l’école ne se sentent plus tenu de garder leurs langues en poche.
« Aujourd’hui nous n’avons pas étudié, le maître est entré dans la classe seulement deux fois et nous a demandé de nous taire parce que l’on dérangeait », affirme un élève de 3e primaire, vite relayé par un groupe de ses copains qui suivaient : « Quand on a sonné, nous sommes sortis, depuis le début de l’année nous n’avons encore étudié », affirmaient-ils l’air pas inquiets du tout de cette oisiveté imposée.
Autre école à la Gombe, même constat : pas beaucoup d’enseignants dans les salles de classe. Ceux qui s’y trouvent sont soit assis sans rien faire ou enseignent pendant peu de temps. Une haute autorité bien placée dans l’enseignement provincial trouvée sur place qui insiste pour ne pas être cité ne croit pas en la réussite de cette gratuité de l’enseignement de base. « Cette gratuité, moi je n’y crois pas du tout. Les choses devraient se faire progressivement, les écoles préparent une rentrée des mois plus tôt. Tout a été bousculé sans tenir compte des réalités sur terrain. Maintenant les enseignants n’ont rien comme moyens pour préparer les matières, ils sont là mais attendent la subvention de l’Etat. Comment peut-on les suivre s’ils n’ont pas des cahiers de notes, de cotation et de la craie? », s’interroge-t-elle en pianotant sur son ordinateur. Pour elle, «difficile d’éradiquer aussi facilement une mentalité acquise pendant plus de 40 ans ».
A la sortie des classes, en fin d’après-midi, une fille de sixième primaire affirme avoir reçu avec ses condisciples la consigne de ne rien dire aux journalistes sur « l’absence des professeurs dans les salles de classe ». Une autre affirme en revanche que les autorités ont rassuré les élèves sur une reprise effective des enseignements à partir de la semaine du 9 septembre.
Les salles surpeuplées
Si certains chefs d’écoles boudent, s’inquiètent ou « sabotent » la gratuité de l’enseignement, selon Cécile Tshiyombo du Syndicat des enseignants du Congo (Syeco), de nombreux parents jubilent. Et n’hésitent pas à envoyer nombreux leurs enfants à l’école au point de créer un surpeuplement dans plusieurs classes, générant de fait la pénurie des bancs et pupitres.
Au Lycée Technique de Bumbu, le nombre maximal d’élèves est de 45 par classe. Depuis le 2 septembre 2019, ce nombre est passé du simple au-delà du double.
« On ne sait plus comment enseigner, les classes sont surpeuplées. L’année passée, dans une salle de 7e j’avais 45 élèves mais cette année, ils sont à 105 et on a reçu l’ordre de ne pas refuser les enfants et ils seront toujours les bienvenus » affirme un enseignant d’informatique, un brin ironique, trouvé dans une salle de classe mal éclairée.
A l’ex-Institut Technique de Bumbu (ITC Bumbu), les autorités notent un accroissement de la 25% de la population scolaire M. Kanda, le directeur des études. A l’Institut Technique industriel et Professionnel de Bumbu, on est catégorique: « Les inscriptions sont déjà terminées, inutile d’insister », peut-on lire sur des papiers collés aux murs de l’école et qui les salissent déjà.
A l’école primaire de Matonge (EP III), les élèves viennent timidement. Dans la cour de l’école, une dame apprend les différentes directions aux élèves de première primaire sourire aux lèvres. Les enseignants sont dans les salles de classe et tout semble se dérouler normalement. La directrice de cette école est d’ailleurs satisfaite de la gratuité de l’enseignement de base et appelle le gouvernement à faire mieux pour que cette gratuité soit ancrée pour toujours.
« Moi je suis contente que tous les enfants aient accès gratuitement à l’école. Beaucoup hésitaient pour inscrire leurs enfants mais aujourd’hui ils accourent à la direction », commente la dame qui a fini ses études en 1961. Et rêve de cette belle époque où l’éducation de base était qualitative. Elle insiste aussi sur l’implication totale de l’Etat qui devrait veiller sur le bien-être de l’enseignant, gage, selon elle, de la réussite de cette mesure.
« Nous avons déjà repris avec les cours depuis le 2 septembre. Nous fonctionnons avec le reliquat de l’année passée en attendant la subvention de l’Etat. Venez inscrire vos enfants dans nos écoles », conclut-elle heureuse.